« Je ne suis pas antifa, je suis pro-mixage » ou l’art de toucher les boutons.

Propos non recueillis par Zabbalin

Dialogue de Z à A
et leurs contraires

Anonymouse est un consterné concerné, un concerné consterné. Il fait yoyo.
Je l’ai rencontré plusieurs fois. Souvent la nuit.

Zabbalin : « – ce qu’il s’est passé à Charlottesville, l’ambiguïté des commentaires du président Trump et les images des suprémacistes, torches à la main, ont soulevé une vague d’indignation et un regain d’intérêt pour les groupes antifas, ça te paraît surprenant ? »
Anonymouse: « – La lutte est de toujours. De partout. On est plus ou moins militant. On s’assimile à un groupe ou pas. Y a là une forme de matérialisme perverse, le groupe est nécessaire pour permettre la projection du soi. Sans le groupe, on n’est pas moins mais on le crie moins fort. D’ailleurs, crier dans un monde qui hurle, est-ce que ça a encore du sens ? Ça me fait penser à Macron qui dit, d’un côté les riens, de l’autre ceux qui réussissent. Mais, réussir dans un monde qui n’y parvient pas. Qu’est-ce que ça veut dire ? »

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Z : « – pourtant, t’as fait les quartiers, la rue. Le groupe, la meute, c’était ton truc… »
A : « – c’est vrai et c’est encore vrai. Je réponds grimé. En Anonymouse, donc tu vois soit j’ai le masque de Vendetta et les gants de Mickey, soit j’ai les gants de Vendetta et les oreilles d’une souris. Il se peut qu’on est merdé, que j’ai merdé, que le groupe ait été un masque ou des gants. Un truc de barboteur. De cambrioleur. C’est quoi la question déjà ? »

Z : « – Je crois que de question, il n’y en avait pas. Tu parlais du groupe quand je te posais la question de mecs qui, individuellement, mais derrière leurs écrans aussi, comme nous quoi, likent des trucs sans qu’on sache trop ce que ça rassemble, ce que ça implique. »
A : « – L’implication, c’est plus la question. On a dépassé ce stade. Être impliqué, c’est au mieux avoir le badge ou le sticker. Un truc que tu colles à l’arrière de ta bagnole, sur le revers de ton blouson ou sur le côté de ta casquette. Donc, bien sur, c’est cool de voir les mômes monter au créneau sur les antifas plutôt que sur les mecs d’en face. Après, ça fait des années qu’on y monte ou qu’on descend dans les catacombes et, t’as vu, si ça fonctionnait, on aurait pas une manifestante décédée – paix à son âme – à Charlottesville. Ce que je dis est vrai et mérite d’être considéré au regard de chaque géopolitique. C’est pas la même chose si on parle des USA, de la Hongrie, de la Pologne, de la France, de la Corse ou de l’Occitanie. »

Z : « – C’est clair. Du coup, si on pose la notion de géopolitique, ce qu’il se passe aux USA a-t-il plus de valeur, de valeur symbolique je veux dire, que si ça se passait ailleurs ? »
A : « – Pour moi, non. Pour les médias, oui. Mais, en fait, ça se passe déjà. En France, toutes les affaires de violences policières des dix dernières années, à la louche, se sont déroulées dans les quartiers populaires ou sur des zones de contestation. Zyed, Bouna, Rémy, Adama, Théo. Tu vois, je connais pas tous les détails et y a tellement d’affrontements autour de ces affaires que j’y pompe rien mais, j’y vois quand-même un point commun. C’est jamais neutre. Ce sont ceux d’en bas qui mangent. Plein la tronche. Donc si on reste là-dessus, y a une putain de frontière. »

Z : « – et la frontière, elle se fait par rapport à quoi ? »
A : « – comme je viens te le dire, entre le haut et le bas. Entre la banlieue et le centre. Entre la capitale et la Province. Entre le bois et la jungle, t’as qu’à voir Calais. Entre une voiture et un camion sur un parking de teuf. Entre toi et moi. Tu m’interroges et je dois me représenter. Je réagis. Idéalement, je devrais pouvoir me présenter. L’action, tu vois. Plutôt que la réaction. »

Z : « – vas-y, présente-toi. »
A : « – dis comme ça, tu tues un peu la nature du truc. Admettons. Pour revenir au sujet, je ne suis pas antifa, je suis pro-mixage. Être anti, c’est une perte, une hérésie des temps modernes. Les fafs se boufferont la gueule entre eux, si on dit qui on est, ce qu’on veut. Je vais pas me présenter comme ça. Je vais pas me représenter comme tu l’attends non plus. Je me fous de votre business. »

Z : « – Du coup, on fait quoi ? »
A : « – On devrait se mélanger, se toucher les boutons. L’humanité est un sound system. Même si t’es tout seul dans le délire, écoute-bien. C’est l’été, le seul truc qu’on entend, c’est ce moustique qui vient nous faire chier. Il a pas de meute, pas de groupe, pas de quartier. Il est minuscule et t’as vu comment il nous soule ? »

Z : « – Carrément relou. »
A : « – Tu sais que quand le moustique pique, il urine en même temps. C’est ce qui lui permet de refroidir la température de son corps. Sans ça, notre sang le mettrait comme une bouilloire. J’ai découvert ça sur le site Du Point ( http://www.lepoint.fr/science/regardez-le-moustique-urine-quand-il-vous-pique-17-01-2012-1420013_25.php) quand mon fils m’a demandé si les moustiques faisaient caca. J’en conclus qu’on peut être tout petit, se pisser dessus et saigner les puissants et qu’un simple applaudissement, une vague lumière, peuvent nous crever. On est rien, tu vois, juste des insectes. Le groupe, c’est pas l’objectif. Ce qu’il nous faut, c’est des points d’eau. Des sources pour planter nos œufs. »

moustique

Z : « – ok, je vois. »
A : « – Tu vois rien du tout. Nous sommes des aveugles. Voir, ce n’est pas pour nous. Regarder, ça c’est possible. Les aveugles savent le faire. Regarde maintenant, c’est comme une devise.»

Z : « – Tu poses la question du regard mais les yeux d’aujourd’hui se perdent dans les nuances bleues des écrans. Tout dépend de ce qu’on regarde non ? »
A : « – Pas forcément, tout dépend comment on regarde. C’est une question de distance, de conscience. Les écrans ont bon dos, il faut apprendre à les utiliser, ce sont des outils. Si tu prends un marteau et que t’essaies d’enfoncer le clou avec le manche, ça marche pas et le marteau n’y est pour rien. Et, si tu le tiens dans le bon sens, tu peux encore te fracasser un doigt. Encore une fois, ce sera pas la faute du marteau. C’est le geste, il faut qu’il soit précis, volontaire. Il faut mixer la violence du coup, sa précision et toujours recommencer. »

Z : « Dans ce combat, on a l’impression qu’il faut toujours recommencer. Pourtant, l’histoire nous informe sur le pire. L’apartheid, la Shoah, les camps pour homos en Tchétchénie, et j’en oublie, il y a tellement d’exemples, on ne pourrait pas tous les citer. Alors on a rien retenu ? On ne se souvient pas ?»
A : « Les souvenirs, c’est des stèles, des monuments. Des manuels d’histoire qu’on passe son temps à réécrire. Tu sais je crois que nous sommes juste de petits samples de l’existence, des boucles dans des boucles. C’est pour ça que je suis pro-mixage. »

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