L’improvisation à l’épreuve des nouveaux maintenant / Short-cuts of a Burn-Aout

« Le Feu et la colère » : Donald Trump aurait totalement improvisé sa menace contre la Corée du Nord. »
Huffingtonpost

 

« L’improvisation, c’est comme la liberté, ça s’apprend, ce n’est pas inné ! Quand on a peur, on n’est pas libre ; quand on est libre, ça fait peur. »
Bernard Lubat – Libération

Vacances.
Chez ma mère.
Mois d’aout.
Cestas, périphérie de Bordeaux. On entend la rumeur de l’autoroute.
Sous les pins du parc, chienne en laisse.
Môme devant. Rodage de sa nouvelle paire à la virgule, offerte par Mamie. Rouge, donc rapide.

Pensée : la solitude du conducteur de traineau et ses chiens qui courent devant.

Au bout du chemin, l’aire de jeux.
Molle sous le pied, une surface vêtue comme un cours de tennis. Trucs de gosses en bois, tourniquet, spot de grimpe, épris dans un rectangle, gage de sécurité – sic – pour les chérubines et les chérubins, vertement grillagé.
Sur le sol, à la peinture aérosol rouge timide, scène de crime délavée, l’empreinte d’un passage récent.
Restes de l’improvisation d’un soir de jeune pour jeunesse de nuit et ses affamés sans famine.

J’imagine la scène.
Quelques bières,
Smirnoff tiède,
Redbull,
spliffs
et pschitt.

Au pied du toboggan, symbolique patinoire de la douceur des nouveaux despotismes, d’une lente chute qui dit jusque là tout va bien et rappelle la haine, un cercle pas tout à fait rond et son A, si loin des océans, vaguement tagué.
Première lettre de l’alphabet d’une adolescence dont l’époque étire la langueur et les longueurs, pauvre A de anarchie. Miséreux plus que pauvre, parce qu’aux lames de son hors-de-propos, assassin des solidarités salvatrices qui font rempart et séparent misère de pauvreté.

Un A ?
Pourquoi pas un Z ?
Histoire de dire que tout est fini.

Continuité de la simple idiotie des transitions adolescentes ou refus nouveau ?
Un A qui aurait pu être celui de Amour ou de Art, qui l’est peut-être, qui s’étale là comme la peinture rupestre de ceux à venir.
Enfants en haut de l’échelle.
Adolescents au bout de la rampe.
Négationnistes d’ascenseur, négatif de l’escalator social, photographie de l’impact des pieds touchant la terre d’une réalité s’en trouvant dépourvue, l’improvisation.
Comme une horde.

Pensée : le crissement de la neige sous le poids de mes pas, la marque qui s’efface derrière moi.

Tordu sous l’ampoule pissotant jaunâtre, le visage frôle le miroir de la salle de bain. Les doigts plissent la peau, operculent le dôme d’une infection ridiculement petite, immensément centrale.
Point rouge imprévu.
Gouttes de sang improvisées.
Orages d’été.
À se regarder l’humanité doit le faire avec ses pires. Les présidents sont nouveaux, leurs improvisations prévisionnées. Les présidences survivront leurs précédentes, la peau du monde ne se régénère pas. Elle se tend. L’improvisation, comme une colère, comme une frontière d’écume sur la mer méditerranée, une ligne d’eau entre le C-Star et des canots qui fuient avant qu’il ne soit trop tard.

Pensée : les lèvres gercées et ce nuage vaporeux qui sort de ma bouche lorsque j’essaie de parler.

Si l’inverse de l’improvisation est la prévision, la prédiction est l’imposition inaliénable de l’Homme monument qui dit savoir, comprendre, anticiper, gérer. Les prévisionnistes ont le devoir de trouver des raisons à leurs vérités, obligation de résultat est faite à leurs prétentions.
Ceux de l’improvisation ont le droit et le devoir de chercher ces mêmes raisons, obligation de moyen est faite à leurs intentions.
Cette dualité et ce duel de deux visions du monde et de leurs humanités, celle qui qui prétend avoir trouvé et celle qui consent à chercher encore et encore, sous-tendent les paradoxes de notre passage. Il nous faut, sur ce fil du temps, porter nos joutes funambules. Experts vs usagers, politique vs poélitique, fond vs forme, éditorialistes vs éditorialistes. Septembre en attendant et l’hiver qui vient, pourra-t-on faire l’économie de la violence ?

Pensée : le tunnel psychédélique que dessinent les flocons de la tempête, le givre sur les yeux.

L’improvisation échappe le soucis de la forme. Pour le meilleur et son contraire, elle sonde le fond, parfois sans profondeur. Elle effraie tout autant qu’elle fascine. L’Homme face à l’imprévu, c’est l’Homme face à la vie.
Enfuyons les formes que l’on imagine pour nous, soyons imprévisibles, informels, chercheurs ultimes et consciencieux, citoyens.
J’écris ces quelques mots pour le cadavre de mon espoir. Pour la revue Pierre* aussi. Lignes de joint. Entre la brique et le pavé, il va falloir choisir sans élire. Au plus profond de soi, dans sa liberté de conscience, à l’échelle du un, entre solo de truelles et révolution du nombril. Construire. Détruire. Réparer. Trilogie essentielle pour les nouveaux manuels.

Pensée : l’ivresse des grands froids.

«… En septembre, en attendant la suite / Des carnages il se peut, qu’arrive la limite… »
Noir Désir – 666.6667Club – Barclay –1996 | Septembre en attendant

* à l’origine, texte envoyé à la revue Pierre. Retoqué pour défaut de correspondance éditoriale.

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